
Césarienne
Business, croyances et technologies
"La colère refoulée il y a trente ans s'était sanctuarisée dans son bas-ventre"
La grossesse reste une expérience unique, forte, qui marque l’esprit, tout comme l’accouchement.
Loin d’être anodin, le dénouement chirurgical par césarienne peut fragiliser la femme et son enfant et laisser une cicatrice physiologique et psychologique durant toute une vie. Si l’origine de ce geste technique se perd dans la nuit des temps, sa considération a été sujette à évoluer selon les dogmes religieux, les théories scientifiques et le tropisme culturel ou économique, ou tout simplement le « confort » voulu par la maman.
La césarienne est avant tout un acte chirurgical de dernier recours et réservé aux grossesses à risque. Elle permet de sauver des vies. Comme toute technologie, du couteau au smartphone, elle est à double tranchant. Sommes-nous suffisamment matures pour ne pas se couper avec ?
Allons voir ce qui n'existe pas. Allons voir ce qu'une femme, une mère peut vivre après une césarienne. Entendons le silence de la césarienne qui résonne dans les tissus et ouvrons les yeux sur un enjeu de notre société passé par pertes et profits. Nous ne risquons rien puisque cela n'existe pas, puisque l'on vous le dit.
Suite à notre première rencontre, cette dame âgée de cinquante-cinq ans, au travers de sa cicatrice de césarienne, entame un retour à elle. Incisée et accouchée il y a trente ans.
Allongée sur le dos, je découvre son bas-ventre. Un passage refermé, qui a permis à la dame d’être accouchée, apparaît d’un bord à l’autre des os iliaques. La finesse et la clarté du trait cache un traumatisme.
Notre relation est renforcée par la confiance. Sans précipitation, ma patiente s’exprime et me dit :
— Depuis mon premier accouchement par césarienne, ma combativité et ma confiance en moi se sont envolées.
Je conçois qu’elle désire dialoguer et répond donc à son initiative.
— Ce n’est pas un acte anodin.
Je laisse exprimer ma spontanéité, sans surenchérir de paroles inutiles. Je souhaite qu’elle soit entendue et accompagnée dans sa démarche de santé.
Elle me répond :
— Non. Et pourtant mon gynéco m’expliquait que c’était plus sûr et confortable qu’un accouchement par voie basse.
Je prends quelques secondes pour répondre. En massant, nous pouvons aisément laisser un espace de silence durant le dialogue. Malgré l’absence de parole et grâce au toucher, le contact, la présence, l’attention ne sont jamais rompus. Si je n’ai rien d’intéressant à dire, je ne dis rien. Le silence vaut mieux qu’un mauvais mot. Ce qui doit être dit plane dans l’air et y reste. Pas d’impatience, pas de précipitation, les mots ne s’envoleront pas s’ils sont destinés à être prononcés.
Puis, sans accuser et sans excuser, mais avec la volonté d’éclaircir la situation, je dis :
— De son point de vue, certainement. Il peut mieux contrôler la naissance. Pour lui, c’est plus rassurant et pratique.
Les cicatrices regorgent toujours
de tensions et d’émotions prisonnières dans les plis et replis sous cutanés,
comme dans une toile d’araignée, mais en trois dimensions. La fine ligne claire
à la surface est trompeuse quant à la réalité qui se cache sous la peau.
L’adhérence des tissus y est alors beaucoup plus étendue. Leurs reconstructions
anarchiques diminuent la capacité de glissement des structures les unes contre
les autres, altèrent la sensibilité des nerfs ainsi que le flux liquidien et
peut projeter des douleurs dans des régions éloignées de la cicatrice par des
arcs réflexes complexes. La mémoire de ce qui peut paraître comme un simple
incident reste logé dans les cellules travaillées au scalpel. Incident sous contrôle pour les uns et traumatisme pour les autres, les accouchées.
La dame s’affirme et s’exprime et me répond en relevant sa tête. Révoltée et les joues rougissantes :
— Oui, mais pourtant c’est moi qui devais être rassurée, c’est moi qui accouchais ! Je devais donner naissance !
L’empathie se joint au dialogue. Je valide sa remarque en argumentant ceci :
— C’est vrai. Ça me semble la base d’un accouchement réussi. La confiance en soi et ses capacités physiologiques d’enfanter et l’absence de peur.
Apaisée, elle repose sa tête et reprend son souffle.
— Mon premier enfant aurait pu naître naturellement, mais mon médecin était fan de la césarienne qu’il m’a conseillée vu que mon bébé semblait un peu gros et que cela pouvait bien compliquer les choses étant donné la taille de mon bassin.
Je laisse la porte ouverte au dialogue et lui laisse toujours l’initiative en disant :
- Ça se discute, en effet.
La colère refoulée il y a trente ans s’était sanctuarisée dans son bas-ventre. Son sentiment d’avoir été dépossédée de son enfantement, un bâillon sur la bouche, un bébé porté en triomphe par un inconnu ganté de caoutchouc et coiffé d’une charlotte. A peine extirpé de son habitacle, on montre tout de suite au bébé que la vie sur Terre sera froide et violente et que ses cris n’y changeront rien. Le triomphe de la technologie sur l’expression physiologique de la naissance et le rôle millénaire d’enfanter inscrit dans les gènes de la femme. Chrono en main, le système hormonal, immunitaire, nerveux et digestif sont oubliés durant l’acte chirurgical qui vient court-circuiter des processus biologiques élémentaires pour la maman et son bébé. Le laisser-faire, accompagné d’un bon sens de l’observation clinique du praticien ou de la sage-femme dénués d’impatience et doués d’expériences d’accouchements, prédispose à une meilleure santé pour l’enfant et la maman[1]. Ouvrir un ventre pour accoucher, ou pourquoi faire simple, quand on peut faire des complications ?
La maman n’osera plus se révolter. Infantilisée par l’autorité gynécologique, elle se sera tue. Son intention refoulée, elle aura enfoui sa honte et sa colère dans ses tissus jusqu’à dégrader l’idée qu’elle a d’elle-même. (cf. Notre corps et nos ressentis affectifs)
Une fois encore, je plonge mes doigts dans la chair meurtrie. La maman allongée sur le dos bascule sa tête de côté et laisse l’âme voguer. En confiance, elle s’abandonne, une fois de plus, aux mains d’un inconnu, mais ce coup-ci, pas de vol, elle décide de mettre ses ressources à la disposition de sa santé, dans un esprit de congruence avec soi.
En profondeur, mes gestes atteignent un univers démuni de force, un ventre mou, léthargique, empli d’une sensibilité douloureuse. Le travail devra se faire avec la présence de toute la main en surface afin d’étirer en douceur, mais avec une forte intention de solliciter un grand volume de chair jusqu’au profondeur utérine. Une main de fer dans un gant de velours à la place d’une main froide dans un gant de caoutchouc. Le tissu conjonctif, qui relie et soutient toutes les structures, permet de connecter des éléments éloignés les uns des autres et anatomiquement distant.
La colère ayant semé les graines de la tristesse, le corps se prépare à réagir et les pleurs surviennent.
Elle replace sa tête droite et bien alignée et posément me dit :
— On ne fait pas toujours juste dans la vie, mais j’aurais voulu offrir à ma fille un meilleur départ. C’était difficile. Me dit-elle les yeux brillants débordant de larmes.
Silence de ma part. Je ne la regarde pas et continue à faire parler mes mains sur son abdomen. Je suis détendu et touché par son expression spontanée et la beauté de sa vulnérabilité mise à nu, son authenticité. En prise avec ses rancoeurs, ses remords et sa culpabilité, elle est en train de vaincre ses dragons et de laisser ses émotions quitter ses tissus grâce à sa puissance d’évoluer, son dynamis [2]. À ce moment, il flotte dans l’air une absence de doute, tout semble évident. La tension fait progressivement place à l’apaisement.
Notre dialogue continue jusqu’en fin de séance. La dame m’évoque calmement son ressenti.
— J’ai parfois l’impression d’avoir le corps coupé en deux et d’être séparée de mes jambes.
— Les deux parties sont encore ensemble. On va les mettre d’accord.
Ma réponse laisse le sens propre comme le sens figuré agir sur ma patiente. J’ai aussi l’occasion de l’amener sur une voie ouverte au changement, à la transformation.
Elle me dit en souriant :
— Je veux bien.
Enfin, et pour accompagner mes paroles à mes gestes, je lui indique que sa démarche est sensée. Semblable au toucher, la parole peut renforcer ou anéantir. Ainsi, je rajoute :
— En mettant vos ressources à disposition comme aujourd’hui, nous pouvons tenter d’améliorer votre confort. Et des ressources, vous en avez.
La séance prend fin.
Quelques temps plus tard, je retrouve ma patiente les épaules rehaussées et une certaine détermination dans son regard. Les symptômes ont diminué dans la durée et en intensité.
Elle m’affirme ceci :
— J’ai retrouvé plus de force dans mes jambes et plus de confort en général.
— Très bonne nouvelle.
Elle s’allonge sur le dos et me transmet encore une information importante.
— Le sommeil est aussi meilleur et j’ai beaucoup moins de cauchemar.
— C’est important le sommeil.
Je souligne simplement la nécessité d’un bon repos tout en enveloppant sa nuque de mes deux mains. De cette façon, je renforce l’importance de son vécu à travers son ressenti. Son affirmation est encouragée et perçue comme bienfaitrice.
Elle sourit et nous nous reverrons bientôt pour notre dernière séance ensemble, durant laquelle, allongée sur le dos, la tête inclinée sur le côté, son âme voguera, le visage détendu. Elle s’en ira encore vers ses pensées, ses regrets, ses doutes, mais avec la certitude qu’il n’est jamais trop tard pour prendre ses responsabilités, se pardonner et se détacher, afin de revenir à soi.
Thomas Payot
[1] « The effect of medical and operative birth interventions on child health outcomes in the first 28 days and up to 5 years of age : A linked data population-based cohort study ». D’autres études sur primalhealthresearch.com
"À plus long terme, une césarienne accroît toutefois chez l’enfant le risque de contracter un diabète de type 1 ou de souffrir d’asthme." Le conseil fédéral prend connaissance d'un rapport sur les césariennes.
Augmentation des douleurs, des infections, des complications et des difficultés à allaiter pour la maman,(rapport Maury Pasquier Liliane).
[2] Du grec ancien qui signifie la puissance d’être ou de devenir physiquement et/ou moralement.
(3) Office fédéral de la statistique (OFS) pour 2022