Notre corps et nos ressentis affectifs

Notre corps et nos ressentis affectifs

Jeudi, Février 6, 2025

Doué de sensibilité et de sensorialité

Vous êtes sur le point de lire un essai, une réflexion, sur l’imprégnation de nos ressentis affectifs dans notre corps. Je ne suis pas psychothérapeute et ne fais pas de consultation dans ce sens. Je tente de décrire l’aspect psychosomatique du point de vue du masseur médical. Dans mon travail, au quotidien, je ne résume pas mes patients à leurs ressentis. D’autres causes existent ou coexistent pouvant expliquer un trouble, une douleur ou une maladie. Nous ne pouvons pas limiter la santé aux ressentis affectifs. De même que nous ne pouvons les ignorer.

Cet article est mon pot de confiture dans lequel je trempe mon doigt. Comme le pot de confiture dans la cuisine de notre existence, il me tente d’y mettre mon nez et d’en goûter la saveur. Il se trouve devant mes gros yeux ­– oui, j’ai des gros yeux­ – et l’intrigue de son contenu titille les papilles imaginatives de mon cerveau. Savourons-en, mais avec raison.

Dans mon sujet sur les soins manuels palliatifs, j’écris que nos ressentis affectifs (émotions, sentiments) se logent dans notre chair, ils se sanctuarisent dans notre corps.

Il est très difficile de parler d’un sujet invisible, immatériel, qui, à priori, ne touche que le mental. Toutefois, le masseur se trouve en présence des ressentis au niveau charnel. Il touche les émotions et les sentiments qui ont laissé une empreinte dans le corps du patient. Il découvre les tensions palpables provoquées par un stress, un traumatisme physique, mais également psychique. Il est alors dans la fameuse zone grise décrite dans l’article des soins manuels palliatifs, celle qui fait tampon entre le psychisme et le physique. Le masseur matérialise un vécu en donnant corps aux ressentis comme dans le cas sur la césarienne et le dialogue entre la femme et moi-même.

Pourtant, les conséquences physiques et fonctionnelles du stress et du traumatisme psychiques sont bien palpables et observables et c’est justement cet aspect physique et fonctionnel qui dirige les mains du masseur. Il se garde d’analyser « le cerveau » dont il ne serait quoi en faire et cadre ses gestes dans une approche physique que l’on peut qualifier, dans certain cas, de psychothérapie charnelle. Au travers des gestes manuels thérapeutiques, les ressentis sont exprimés par la détente tissulaire et l’apaisement de l’esprit. Alors, l’étau oppressant des tumultes de l’existence se desserre et le patient peut prendre du recul sur lui-même. Ces effets s’opposent au refoulement mortifère, à la sanctuarisation des ressentis affectifs pathogènes et à la tension qui en résulte.

Nos ressentis pathogènes contenus étouffent notre métabolisme en oxydant nos cellules et perturbent tous les échanges chimiques et liquidiens. Ils se logent dans nos tissus, nos organes et se sanctuarisent. Ils sont difficiles à avaler, nous pèsent sur les épaules, nous font de la bile, nous étouffent, alourdissent notre cœur ou notre dos. Ils restent sur l’estomac et, parfois, après en avoir trop vu, ou trop entendu, nous font du mauvais sang. Alors, atteint dans notre chair, le pancréas peut souffrir ou, éreintés, nos reins dysfonctionnent. Ulcéré par les épreuves et les torts subis, notre tube digestif se perfore jusqu’à faire battre la chamade à notre cœur.

Les ressentis fusionnent nos sentiments, nos émotions et nos pensées. Ils valsent continuellement dans notre tête, comme des danseurs fous emmenant tour à tour chacune de nos cellules par la main et, selon leur folie de l’instant, provoquent rire, vertige, nausée et entraves.

Comment le stress et le traumatisme nourrissent nos cellules ?

Point de départ, la naissance et le bébé : pour survivre dès notre arrivée au monde, nous avons besoin de contacts physiques et de nous sentir protéger, avant de nous sentir aimé.

Une fois sorti du milieu liquidien dans lequel nous avons baigné durant neuf mois, notre enveloppe charnelle devient le vecteur, l’interface entre le monde extérieur et notre monde intérieur. Le développement de nos sens est stimulé par notre environnement pendant que la perception de notre corps n’est possible que grâce au toucher. Le toucher nous indique les contours de notre corps et développe notre sensibilité. Il nous offre, en tant que nouveau-né, la découverte de sens et permet l’apprentissage du contact.

Ainsi, le toucher contribue à notre sentiment de bien-être et de sécurité affective et intérieure.

Nos gènes, composés de nos atomes formant nos molécules, déterminent nos réactions à tous ces stimuli et s’expriment favorablement où non selon nos mises en situations. Ceci est valable pour le bébé, l’enfant et l’adulte.

Les formes de ressentis archaïques des nouveau-nés, pas encore traduites par la culture, l’éducation, la raison et de nombreuses circonvolutions cérébrales qui n’ont pas encore vu le jour, nourrissent les cellules. Cet apport en nutriments émotionnels est constant durant toute notre vie et conditionne l’expression de nos gènes, c’est-à-dire la réalisation du potentiel moléculaire et atomique du bébé, de l’enfant et de l’adulte. Nous devenons ce que nous ressentons, pourrait-on dire. Notre santé est dépendante de notre Environnement – avec un grand E – et de notre rapport affectif avec ce dernier, soit de nos ressentis.

Les ressentis archaïques du bébé concernent les besoins élémentaires et vitaux. Un bébé ne pleure jamais pour rien. Ces pleurs sont l’expression d’un besoin élémentaire (s’alimenter, éliminer, se protéger) qui, s’il est refoulé, nourrit ses cellules de ressentis pathogènes. À contrario, son apaisement en indiquera la satisfaction et le sentiment d’avoir été entendu. La réponse à ses besoins primaires est la base d’une communication fructueuse avec son enfant.

« Je pleure (je demande de l’aide), tu me réponds (je suis entendu) »

Les conséquences de l’isolation du bébé de manière extrême, mais également de manière plus sournoise et « adaptée » dans nos sociétés ont été étudiées par les neurosciences et les psychiatres, psychologues et même éthologues tels que René Spitz en collaboration étroite avec Harry Harlow, Jerome Seymour Brunner, Daniel Stern, Boris Cyrulnik, Serge Lebovici, Michel Soulé, et d’autres. Les carences affectives étudiées par ces spécialistes se manifestent parfois sous les mains du masseur de manière physique et fonctionnelle.

La médecine traditionnelle chinoise a étudié dans le détail l’imprégnation émotionnelle au niveau des organes, tout comme le masseur observe le dénouement d’une situation physique douloureuse portée par une purge intestinale, lacrymale ou verbale durant une séance. Les ressentis affectifs ne sont jamais loin d’un trouble quelconque ou d’une douleur physique.

Laisser un bébé pleurer seul dans sa chambre illuminée de veilleuses électriques, alors qu’il a passé plus de temps au chaud dans le ventre de sa mère que dans un monde fait de courant d’air durant sa courte existence ex utéro, équivaut à sortir un adulte de son lit en plein sommeil pour le placer sur une planète inconnue à l’environnement totalement différent de la nôtre.

Le besoin de l’adulte, ainsi extirpé des bras de Morphée, d’être réconforté et rassuré, soit d’être protégé, s’exprimerait par de la panique, des pleurs et une tension énorme autant physique que psychique. Sans réponse appropriée, l’adulte, pourtant capable de réflexions et de compréhension, développerait un traumatisme et des pathologies psychiques et physiques graves.

Le stress nourrirait ses cellules de ressentis pathogènes. Troubles musculosquelettiques et organiques se développeraient à court, moyen et long terme, peut-être jusqu’au stade de la maladie.

Le cas du bébé permet de concevoir aisément que nos ressentis impactent notre santé, que l’on soit un bébé, un enfant ou un adulte. Une évidente banalité qui, au quotidien, se noie dans nos existences rythmées par des obligations, des contraintes et nos propres limites. En prendre conscience, sans culpabilité, permet déjà notre ouverture aux changements et au mieux-être. Tout le monde a droit à l’erreur et nous sommes tous perfectibles.

Psychothérapeutes et masseurs médicaux offrent ensemble une approche globale de santé et invitent à un mieux-être efficace et durable.

Chaque individu possède des ressources parfois insoupçonnées. Là, juste là, entre les mains. Nous pouvons les exploiter.

Thomas Payot

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