
Soins manuels palliatifs
Entrevues avec la vie
« C’est beau ! merci. », Mélanie, le 7 janvier 2025, avec les siens, au seuil de son existence.
Comme tout professionnel de la santé, le masseur médical peut être amené à accompagner une personne atteinte d’une maladie incurable ou dans une situation douloureuse menant à une fin de vie précoce.
Plusieurs situations telles que l’attente d’un organe vital pour une greffe de la dernière chance, l’expérience cauchemardesque de la maladie dégénérative ou la détresse mentale conduisant à une ultime tentative de se soulager, représentent autant de contextes existentiels engageant le pronostic vital.
Le thérapeute devient alors un accompagnant, parmi d’autres, de la personne souffrante. Ces compétences dans l’art du soulagement et de l’apaisement permettent au patient de retrouver le calme au milieu de la tempête. Le cabinet devient l’oeil du cyclone et la relation d’aide se renforce dans des moments propices à des échanges spontanés et authentiques.
La particularité du massage ou du toucher thérapeutique offre à l’aidant une dimension charnelle unique à son métier. Si la distance relationnelle demeure, le contact physique proche, voire intense, peut abattre certaines limites affectives que le masseur s’impose afin de préserver sa santé et la qualité de son travail.
Droit dans ses bottes et enchaînant les rendez-vous, un professionnel de la santé n’en demeure pas moins un être humain.
Les expériences tragiques de tout individu restent marquées dans la chair. Que le choc émotionnel et traumatique d’un événement se loge dans un organe ou le long de la colonne vertébrale, il est juste de dire que les émotions se sanctuarisent au plus profond de nous. Le stress engendré par ces nutriments émotionnels pathogènes altère la santé de nos cellules et façonne notre corps. Le masseur, en explorant la chair jusqu’à l’os, touche du doigt la souffrance somatisée. Indurés, granuleux, collés et plaqués, les tissus hurlent le mal-être refoulé. (cf. Notre corps et nos ressentis affectifs)
Le thérapeute manuel purge la tension tissulaire et émotionnelle de l’individu tourmenté par le chaos et l’atrocité que la vie peut parfois réserver. Témoin de l’apaisement et du soulagement retrouvés, du moins momentanément, l’accompagnant comprend que le moment est précieux pour le patient et que le mieux-être ressenti permet un soutien efficace dans la poursuite du chemin.
Les sens en éveil, l’aidant, par le toucher bienfaisant, force sa compréhension au-delà de la technicité du geste et des informations mécaniques pour entrevoir la source profonde du mal-être. Gardons-nous de nous y plonger sans une longe de pragmatisme et la raison comme fil d’Ariane.
Il s’agit de la zone grise. La fameuse zone grise où se rencontrent le physique et le psychique, le matériel et le spirituel, le concret et le figuré, le visible et l’invisible. Le tout réunit en une entité que l’on a sous la main et, qu’on le veuille ou non, peut toucher le plus averti des professionnels de la santé.
Être touché. Je suis convaincu que nous sommes ainsi constitués pour être touché. Avec soin, bien entendu.
La dignité et la résilience que des personnes malades cultivent, m’inspirent chaque jour. Je me considère privilégié de pouvoir observer de près, yeux dans les yeux, mains et doigts dans leur chair, la métamorphose de certaines personnes face à une fin annoncée, une sentence irrévocable.
Leur sensation de perdre pied laisse la place à la paix intérieure et à l’accord avec soi dans un élan vers l’après. Hier dans mes mains, demain dans les mains de l’Amour infini.
J’ai touché du bout des doigts le début de la fin et ai entrevu l’après. Merci.
Thomas Payot