La grossesse

La grossesse

Lundi, Avril 14, 2025

Une saine maladie

Qui ne s’est jamais extasié en levant les yeux au ciel et tombé sur un vol de cigognes ? Peu habitués à voir ces grands échassiers chez nous, c’est encore plus onirique d’en voir une multitude se diriger vers des territoires accueillants et fertiles. Alors, prenons de la hauteur et envolons-nous dans le monde transcendant de la conception, de l’accueil de la vie et de notre évolution à travers la chair de notre chair.

Avant de s’envoler, je ne peux passer sous silence le lien entre la grossesse et la diminution des naissances en Suisse, mais également dans une majorité de pays dans le monde.

En Suisse, le taux de natalité en 2023 est de 1,3 enfant par femme. Pour être précis, il s'agit de 1,6 pour les femmes étrangères, principalement françaises, allemandes et italiennes, tandis que les Suissesses sont à 1,2.

Ce taux baisse depuis les années 60 et est passé en-dessous du taux de renouvellement générationnel à la fin des années 70, soit 2,1 enfants. La fécondité a chuté tel que depuis 2019, en Suisse, il y a plus de personnes de 65 ans que de 20 ans. Un décrochement a eu lieu depuis 2021, passant de 1,5 à 1,3 en 2023. Dans quelques années, il y aura une majorité de personnes dîtes vulnérables (vieillesse + maladie physique et psychique) dans notre société. L’enfant devient une espèce en voie d’extinction dans un pays en marche, toujours selon les statistiques fédérales, vers la dévitalisation de son tissu social. Cela se passe à l'instant sous nos yeux.

À présent que le décor est posé, prenons un peu de hauteur et immergeons-nous dans le pays des cigognes.

« La maman en devenir a ancré sa barque dans l’instant présent »

Cette jeune femme avance dans mon cabinet. Elle me semble engouffrée dans ses pensées. Elle me regarde et me répond naturellement, mais semble ailleurs et retenue par son esprit préoccupé par des événements et une histoire qui n’ont pas encore abouti, comme une difficulté à digérer et tourner la page d’un chapitre de son existence passée.

Elle m’apprend qu’elle et son mari ont décidé, il y a plus d’un an, de faire un enfant qui, malheureusement, se fait encore désirer. Son mari a effectué un spermogramme et sa semence est fertile. De son côté, rien, médicalement parlant, ne semble s’opposer à une belle et généreuse grossesse.

L’infertilité non pathologique et non expliquée est lourdement vécue par de nombreux couples. La « non explication » laisse Madame et Monsieur dans un désarroi et une intrigue n’offrant que le sentiment d’injustice comme seule réponse à leurs interrogations. L’infertilité s’est souvent construite avec le temps, le mauvais temps. Elle peut se nourrir de nos ressentis affectifs au point d’en modifier notre métabolisme et d’inhiber les hormones de l’amour et du bonheur[1]. Parfois, la solution se trouve dans notre impression de ne pas être aimé, de ne pas pouvoir aimer ou de se garder d’un bonheur que l’on pense ne pas mériter.

Assise sur la table, je palpe son dos. Sous la peau, apparait le dessein de tissus à drainer, de toxines à évacuer, d’un empoisonnement à éliminer. La musculature hypertonique et indurée par le manque d’oxygène évoque l’étouffement des cellules et leur asphyxie.

Son corps a la consistance d’une pierre friable, pleine de calcaire. De la dureté mélangée à de la friabilité. Cet antagonisme, cette dissonance, appelait au besoin d’harmonie et au retour de l’équilibre.

Je lui propose de s’allonger sur le dos afin de découvrir le réceptacle de la vie désirée et de ses organes.

Là, je loge mes mains délicatement dans l’épaisseur des tissus de son abdomen et cherche les tensions à lever, les indurations à détendre et les spasmes à soulager. Je presse, j’étire, je relâche, je fais pivoter mes doigts et creuse la chair. Ma patiente s’en va et, sous ses paupières, ses yeux s’agitent d’un côté à l’autre. Bruits intestinaux, relargage de la bile par sa vésicule biliaire, détente du pylore[2], péristaltisme[3] retrouvé et régulation du plexus coeliaque[4] sont stimulés.

Des particules odorantes émanent du corps. Tout ce qui s’évacue est bon pour la santé. Comme un anti-poison, les gestes du masseur permettent la vidange. Cette saleté ne nous appartient pas et n’a pas sa place dans nos interstices. À la laisser s’accumuler, nous décidons d’ignorer les contraintes subies par les mauvais choix et laissons une partie de nous dans le passé. Intoxiqués par cette fraction de nous-même immobilisée dans le temps et qui nous empêche d’avancer, le Vivant, doué de dynamis, peut à chaque instant remettre les pendules à l’heure et permettre à notre horloge biologique d’exprimer son rôle naturel.

Dès les eaux tumultueuses du passé traversées, la maman en devenir ancre sa barque dans l’instant présent où l’apaisement des éléments lui donne la possibilité de choisir sa prochaine destination, celle de la mère, sans peur du grand large et toutes amarres larguées.

Nous nous sommes revus deux fois, puis quelques mois plus tard, le ventre bien arrondi pour soulager son corps devenu une belle jonque nourricière.

La grossesse, une affaire de transmission

La grossesse, considérée chez nous comme une maladie potentielle, est d’abord une période évolutive très intense qui permet l’expression et la transmission d’une partie de ses gènes. Considérer cette période de manière purement technique, et penser qu’elle ne concerne que neuf mois de notre vie reviendrait à considérer notre existence sans passé, sans histoire et sans devenir, sans suite.

Toutes les grossesses sont uniques. Elles expriment la conjonction spontanée de deux histoires et permettent le commencement d’une troisième. C’est un orage, un tumulte d’énergie, une friction originelle qui permet la vie et qui devient fusionnelle. Des cellules chargées d'un vécu singulier s’enjoignent dans un big bang microscopique contenant des éléments atomiques qui proviennent de notre terre, notre galaxie, notre univers. L’infiniment petit touche à l’infiniment grand dans un besoin d’une éternité de nos attachements. Le Vivant se nourrit de lui-même. Plus rien ne peut l’arrêter, mais tout peut l’altérer si nous n’y prenons pas garde.

À travers la volonté de créer la vie, la procréation permet la transmission de nos gènes. Ce choix dépasse notre seule personne et incombe une responsabilité nouvelle et un regard différent sur notre existence.

« Un monde ignoré de nos cinq sens et représenté par la pensée »

La période extrêmement évolutive de la grossesse ne permet pas au corps de s’adapter continuellement sans une dépense d’énergie conséquente. Parfois, le corps en sur régime peine à suivre et requiert un second souffle.

Des poches sous les yeux, les jambes lourdes et le dos comme un parpaing, une autre jeune femme est allongée sur le côté.

Je pose mes mains sur sa hanche et sa cuisse. Les tissus sont tendus comme une peau de tambour, à la différence que, selon l’anatomie de la micro circulation sanguine, celle-ci est pleine et varie en température que l’on soit sur la cuisse ou la hanche.

En lui mobilisant la hanche, la jeune femme pousse un soupir. Sa jambe est portée et ne la porte plus pour un instant, ouf ! Sa lourdeur évoque l’épuisement physique et psychique qui ne réclame que le sommeil, sans parvenir à le trouver.

Habitante de son corps, la psyché, l’âme de la jeune femme, partage, dès lors, un espace devenu commun tout en restant séparé de son hôte, le foetus. Impossible de le toucher par la caresse, de le sentir par une profonde respiration, de le voir et s’attendrir, de l’entendre s’exprimer, de le goûter en l’embrassant, bien qu’il soit là avec elle, en elle. Il est déjà sur terre, mais dans un autre monde. Un monde ignoré de nos cinq sens et représenté par la pensée. Celle-là même qui a nourri notre intention de créer la vie.

Je remonte sur son dos et envisage d’assouplir sa colonne vertébrale pour lui permettre de retrouver son inspiration profonde, celle qui provoque des vagues sous la peau et qui favorise le flux et le reflux liquidien, qui redonne à cet océan d’eau nourricière que nous portons, le mouvement, le déplacement à l’échelle cellulaire de cette masse ondoyante.

Assis à côté d’elle, je plaque ma main droite sur son dos et mon avant-bras gauche en contre-force sur son bassin et applique une pression mesurée en glissant de bas en haut, puis de haut en bas en alignant son épine vertébrale entre mes doigts. Je suis très proche d’elle afin que la puissance du geste soit contrôlée sans avoir recours à trop de force de ma part, ce qui me ferait perdre mon attention sur les réactions de la jeune femme, en raison de la peine que ce geste pourrait me faire subir. Chaque partie de son échine est mobilisée, vertèbre par vertèbre. Son bassin est à présent bien mobile sous mon bras en contre-force, dissocié de sa colonne vertébrale, je peux effectuer un mouvement de roulis sur toute sa région dorsale. La peau de tambour se détend et les soupirs sont nombreux, la jeune femme retrouve de l’harmonie et de la liberté de mouvement.

Cet espace retrouvé se manifeste également dans son ventre. Le bébé, plus à l’aise, profite de se mouvoir et récolte un peu d’endorphine secrétée par la maman. Le parpaing se ramollit grâce à l’effet thixotropique des éléments qui composent ses tissus. Le solide devient liquide. J’effectue à présent quelques allers-retours avec la paume de ma main en effleurant son dos et ses hanches qui ont retrouvés un aspect plus homogène. La moiteur de la peau a laissé place à la fraîcheur grâce au froid et au chaud qui se sont mélangés dans un processus de régulation thermique qui, par réflexe nerveux autonome, favorise l’apaisement, le sommeil et la digestion.

J’explore à présent les parties de son corps qui n’ont pas encore été traitées en laissant la spontanéité et l'intuition agir sur mes gestes qui trouveront, ici et là, quelques zones encore indurées, mais qui relâcheront sans résistance grâce à la profonde accalmie provoquée par l’onde vertébrale recouvrée.

Je laisse la jeune femme là, allongée confortablement sur le côté, dans un moment suspendu pour qu’elle puisse prolonger un instant son retour à elle. L’Impatience est piétinée et geint sur le sol.

Grâce à ce second souffle, elle peut envisager plus sereinement la suite de sa grossesse et renforcer ses liens avec son bébé, si proche et si loin à la fois.

Donner naissance, enfanter, engendrer, concevoir une nouvelle génération grâce à la transmission d’une partie de nos gènes. L’étymologie de ces mots témoignent de notre évolution constante dans un environnement dans lequel l’infiniment petit rejoint l’infiniment grand, où les gènes influenceront l’individu, la société et notre monde.

La connaissance de nos origines facilite la compréhension de notre caractère et de notre être en nous offrant la possibilité de découvrir une partie de nous que l’on nous a transmise.

En Suisse, concernant l’adoption, depuis la révision des dispositions du Code civil sur la recherche des origines (entrée en vigueur au 1er janvier 2018)[5], le nombre de demandes de recherches des origines a fortement augmenté.

Ignorer ses origines peut générer une angoisse dû à l’impossibilité mentale de concevoir sa provenance, sa source. C’est pour cela également que la Convention de La Haye sur l’adoption stipule qu’un enfant n’est adoptable dans un pays étranger que lorsque toutes les mesures prises dans son pays d’origine pour lui permettre de rester dans sa famille ou pour lui trouver une famille d’accueil appropriée ont échoué.

Nos origines constituent une partie de notre nature. Elles sont parties intégrantes de notre Être. La société se doit d’agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

"La maternité : tout l'amour commence et se termine là."

"Décider d'avoir un enfant c'est accepter que votre cœur se sépare de votre corps et marche à vos côtés pour toujours."

"Les plus petits pieds laissent les plus grandes empreintes dans nos cœurs."

Douce et belle grossesse à toutes les femmes.

Thomas Payot

***

Les cas pratiques de cet article sont inspirés de rencontres réelles

[1] Ocytocine, endorphine, sérotonine et dopamine

[2] Petit muscle situé à la sortie de l’estomac fonctionnant comme une valve entre ce dernier et l’intestin.

[3] Contractions musculaires du tube digestif permettant la progression des aliments.

[4] Ramification nerveuse située dans l’abdomen (plexus solaire).

[5] Admin.ch -> adoption internationale -> statistiques

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